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Le Poète d'un Siècle, Alfred de Musset
Le Poète d'un Siècle, Alfred de Musset
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11 décembre 2006

Ses Romances

                                                          

A Mademoiselle Zoé Le Douairin
    (Le Mans, octobre 1826)

Heureux séjour où la beauté
     M'accueillit avec indulgence,
     Demain, le jour, ramenant la clarté,
     Te rendra douce leur présence
     Et demain je t'aurai quitté.

Mais si le temps, marquant l'heure funeste,
     De ces beaux lieux m'ordonne de partir,
     Il ne m'ôtera pas le seul bien qu'il me reste,
     De mon bonheur le tendre souvenir !

Zo_

ESPACE

Fragment

(A Madame Beaulieu, 1828)

Quand je t'aimais, pour toi j'aurais donné ma vie,
Mais c'est toi, de t'aimer, toi qui m'ôtas l'envie.
À tes pièges d'un jour on ne me prendra plus;
Tes ris sont maintenant et tes pleurs superflus.
Ainsi, lorsqu'à l'enfant la vieille salle obscure
Fait peur, il va tout nu décrocher quelque armure;
Il s'enferme, il revient, tout palpitant d'effroi,
Dans sa chambre bien noire et dans son lit bien froid.
Et puis, lorsqu'au matin le jour vient à paraître,
Il trouve son fantôme aux plis de sa fenêtre,
Voit son arme inutile, il rit et, triomphant,
S'écrie: " Oh que j'ai peur! oh que je suis enfant ! "

ESPACE

Mme_B

ESPACE

ESPACE

La Marquise

(1829)

ESP

Vous connaissez que j'ai pour mie

Une Andalouse à l'oeil lutin,

Et sur mon coeur, tout endormie,

Je la berce jusqu'au matin.

Voyez-la, quand son bras m'enlace,

Comme le col d'un cygne blanc,

S'enivrer, oublieuse et lasse,

De quelque rêve nonchalant.

Gais chérubins ! veillez sur elle.

Planez, oiseau, sur votre nid ;

Dorez du reflet de votre aile

Son doux sommeil, que Dieu bénit !

Car toute chose nous convie

D'oublier tout, fors notre amour :

Nos plaisirs, d'oublier la vie ;

Nos rideaux, d'oublier le jour.

Pose ton souffle sur ma bouche,

Que ton âme y vienne passer !

Oh ! restons ainsi dans ma couche,

Jusqu'à l'heure de trépasser !

Restons ! L'étoile vagabonde

Dont les sages ont peur de loin

Peut-être, en emportant le monde,

Nous laissera dans notre coin.

Oh ! viens ! dans mon âme froissée

Qui saigne encor d'un mal bien grand,

Viens verser ta blanche pensée,

Comme un ruisseau dans un torrent !

Car sais-tu, seulement pour vivre,

Combien il m'a fallu pleurer ?

De cet ennui qui désenivre

Combien en mon coeur dévorer ?

Donne-moi, ma belle maîtresse,

Un beau baiser, car je te veux

Raconter ma longue détresse,

En caressant tes beaux cheveux.

Or voyez qui je suis ma mie,

Car je vous pardonne pourtant

De vous être hier endormie

Sur mes lèvres, en m'écoutant.

Pour ce, madame la marquise,

Dès qu'à la ville il fera noir,

De par le roi sera requise

De venir en notre manoir ;

Et sur mon coeur, tout endormie,

La bercerai jusqu'au matin,

Car on connaît que j'ai pour mie

Une Andalouse à l'oeil lutin.

ESPACE

Watts_George_Frederick_Miss_Georgina_Treherne

ESP

ESP

A Juana

(1831)

O ciel ! je vous revois, madame,
De tous les amours de mon âme
Vous le plus tendre et le premier.
Vous souvient-il de notre histoire ?
Moi, j'en ai gardé la mémoire :
C'était, je crois, l'été dernier.

Ah ! marquise, quand on y pense,
Ce temps qu'en folie on dépense,
Comme il nous échappe et nous fuit !
Sais-tu bien, ma vieille maîtresse,
Qu'à l'hiver, sans qu'il y paraisse,
J'aurai vingt ans, et toi dix-huit ?

Eh bien ! m'amour, sans flatterie,
Si ma rose est un peu pâlie,
Elle a conservé sa beauté.
Enfant ! jamais tête espagnole
Ne fut si belle, ni si folle.
Te souviens-tu de cet été ?

De nos soirs, de notre querelle ?
Tu me donnas, je me rappelle,
Ton collier d'or pour m'apaiser,
Et pendant trois nuits, que je meure,
Je m'éveillai tous les quarts d'heure,
Pour le voir et pour le baiser.

Et ta duègne, ô duègne damnée !
Et la diabolique journée
Où tu pensas faire mourir,
O ma perle d'Andalousie,
Ton vieux mari de jalousie,
Et ton jeune amant de plaisir !

Ah ! prenez-y garde, marquise,
Cet amour-là, quoi qu'on en dise,
Se retrouvera quelque jour.
Quand un coeur vous a contenue,
Juana, la place est devenue
Trop vaste pour un autre amour.

Mais que dis-je ? ainsi va le monde.
Comment lutterais-je avec l'onde
Dont les flots ne reculent pas ?
Ferme tes yeux, tes bras, ton âme ;
Adieu, ma vie, adieu, madame,
Ainsi va le monde ici-bas.

Le temps emporte sur son aile
Et le printemps et l'hirondelle,
Et la vie et les jours perdus ;
Tout s'en va comme la fumée,
L'espérance et la renommée,
Et moi qui vous ai tant aimée,
Et toi qui ne t'en souviens plus !

ESPACE

Juana

ESPACE

ESPACE

A Pépa

(Mlle Hermine Dubois, 1831)

Pépa, quand la nuit est venue,
Que ta mère t'a dit adieu;
Que sous ta lampe, à demi-nue,
Tu t'inclines pour prier Dieu;

A cette heure où l'âme inquiète
Se livre au conseil de la nuit;
Au moment d'ôter ta cornette,
Et de regarder sous ton lit;

Quand le sommeil sur ta famille
Autour de toi s'est répandu;
Ô Pépita, charmante fille,
Mon amour, à quoi penses-tu ?

Qui sait? Peut-être à l'héroïne
De quelque infortuné roman;
A tout ce que l'espoir devine
Et la réalité dément;

Peut-être à ces grandes montagnes
Qui n'accouchent que de souris;
A des amoureux en Espagne,
A des bonbons, à des maris;

Peut-être aux tendres confidences
D'un cœur naïf comme le tien;
A ta robe, aux airs que tu danses;
Peut-être à moi,-peut-être à rien.

ESPACE

P_pa

ESP

A Laure
(1832)

Si tu ne m'aimais pas, dis-moi, fille insensée,
Que balbutiais-tu dans ces fatales nuits ?
Exerçais-tu ta langue à railler ta pensée ?
Que voulaient donc ces pleurs, cette gorge oppressée,
Ces sanglots et ces cris?


Ah ! si le plaisir seul t'arrachait ces tendresses,
Si ce n'était que lui qu'en ce triste moment
Sur mes lèvres en feu tu couvrais de caresses
Comme un unique amant;

Si l'esprit et les sens, les baisers et les larmes,
Se tiennent par la main de ta bouche à ton cœur,
Et s'il te faut ainsi, pour y trouver des charmes,
Sur l'autel du plaisir profaner le bonheur:

Ah ! Laurette! Ah ! Laurette, idole de ma vie,
Si le sombre démon de tes nuits d'insomnie
Sans ce masque de feu ne saurait faire un pas,
Pourquoi l'évoquais-tu, si tu ne m'aimais pas ?

Laure

ESPACE

ESPACE

A George Sand

I

Te voilà revenu, dans mes nuits étoilées,
Bel ange aux yeux d'azur, aux paupières voilées,
Amour, mon bien suprême, et que j'avais perdu !
J'ai cru, pendant trois ans, te vaincre et te maudire,
Et toi, les yeux en pleurs, avec ton doux sourire,
Au chevet de mon lit, te voilà revenu.

Eh bien, deux mots de toi m'ont fait le roi du monde,
Mets la main sur mon coeur, sa blessure est profonde ;
Élargis-la, bel ange, et qu'il en soit brisé !
Jamais amant aimé, mourant sur sa maîtresse,
N'a sur des yeux plus noirs bu la céleste ivresse,
Nul sur un plus beau front ne t'a jamais baisé !

ESPACE

II

Telle de l'Angelus, la cloche matinale
Fait dans les carrefours hurler les chiens errants,
Tel ton luth chaste et pur, trempé dans l'eau lustrale,
Ô George, a fait pousser de hideux aboiements,

Mais quand les vents sifflaient sur ta muse au front pâle,
Tu n'as pu renouer tes longs cheveux flottants ;
Tu savais que Phébé, l'Étoile virginale
Qui soulève les mers, fait baver les serpents.

Tu n'as pas répondu, même par un sourire,
A ceux qui s'épuisaient en tourments inconnus,
Pour mettre un peu de fange autour de tes pieds nus.

Comme Desdémona, t'inclinant sur ta lyre,
Quand l'orage a passé tu n'as pas écouté,
Et tes grands yeux rêveurs ne s'en sont pas douté !

(1833)

ESPACE

III

Puisque votre moulin tourne avec tous les vents,
Allez, braves humains, où le vent vous entraîne ;
Jouez, en bons bouffons, la comédie humaine ;
Je vous ai trop connus pour être de vos gens.

Ne croyez pourtant pas qu'en quittant votre scène,
Je garde contre vous ni colère ni haine,
Vous qui m'avez fait vieux peut-être avant le temps ;
Peu d'entre vous sont bons, moins encor sont méchants.

Et nous, vivons à l'ombre, ô ma belle maîtresse !
Faisons-nous des amours qui n'aient pas de vieillesse ;
Que l'on dise de nous, quand nous mourrons tous deux :

Ils n'ont jamais connu la crainte ni l'envie ;
Voilà le sentier vert où, durant cette vie,
En se parlant tout bas, ils souriaient entre eux.

(1834)

ESPACE

IV

Il faudra bien t'y faire à cette solitude,
Pauvre coeur insensé, tout prêt à se rouvrir,
Qui sait si mal aimer et sait si bien souffrir.
Il faudra bien t'y faire ; et sois sûr que l'étude,

La veille et le travail ne pourront te guérir.
Tu vas, pendant longtemps, faire un métier bien rude,
Toi, pauvre enfant gâté, qui n'as pas l'habitude
D'attendre vainement et sans rien voir venir.

Et pourtant, ô mon coeur, quand tu l'auras perdue,
Si tu vas quelque part attendre sa venue,
Sur la plage déserte en vain tu l'attendras.

Car c'est toi qu'elle fuit de contrée en contrée,
Cherchant sur cette terre une tombe ignorée,
Dans quelque triste lieu qu'on ne te dira pas.

(Venise, 1834, après la première rupture)

ESPACE

V

Toi qui me l'as appris, tu ne t'en souviens plus
De tout ce que mon coeur renfermait de tendresse,
Quand, dans nuit profonde, ô ma belle maîtresse,
Je venais en pleurant tomber dans tes bras nus !

La mémoire en est morte, un jour te l'a ravie
Et cet amour si doux, qui faisait sur la vie
Glisser dans un baiser nos deux coeurs confondus,
Toi qui me l'as appris, tu ne t'en souviens plus.

ESPACE

g_sand

ESPACE

ESPACE

ESPACE

Lucie

(mai 1835)

Mes chers amis, quand je mourrai,
     Plantez un saule au cimetière.
     J'aime son feuillage éploré;
     La pâleur m'en est douce et chère,
     Et son ombre sera légère
     A la terre où je dormirai

Un soir, nous étions seuls, j'étais assis près d'elle;
Elle penchait la tête, et sur son clavecin
Laissait, tout en rêvant, flotter sa blanche main.
Ce n'était qu'un murmure : on eût dit les coups d'aile
D'un zéphyr éloigné glissant sur des roseaux,
Et craignant en passant d'éveiller les oiseaux.
Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques
Sortaient autour de nous du calice des fleurs.
Les marronniers du parc et les chênes antiques
Se berçaient doucement sous leurs rameaux en pleurs.
Nous écoutions la nuit; la croisée entr'ouverte
Laissait venir à nous les parfums du printemps;
Les vents étaient muets, la plaine était déserte;
Nous étions seuls, pensifs, et nous avions quinze ans.
Je regardais Lucie. - Elle était pâle et blonde.
Jamais deux yeux plus doux -n'ont du ciel le plus pur
Sondé la profondeur et réfléchi l'azur.
Sa beauté m'enivrait; je n'aimais qu'elle au monde.
Mais je croyais l'aimer comme on aime une sœur,
Tant ce qui venait d'elle était plein de pudeur
Nous nous tûmes longtemps; ma main touchait la sienne.
Je regardais rêver son front triste et charmant,
Et je sentais dans l'âme, à chaque mouvement,
Combien peuvent sur nous, pour guérir toute peine,
Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur,
jeunesse de visage et jeunesse de cœur.
La lune, se levant dans un ciel sans nuage,
D'un long réseau d'argent tout à coup l'inonda.
Elle vit dans mes yeux resplendir son image;
Son sourire semblait d'un ange elle chanta.

Fille de la douleur, harmonie! harmonie!
Langue que pour l'amour inventa le génie!
Qui nous vint d'Italie, et qui lui vint des cieux!
Douce langue du cœur, la seule où la pensée,
Cette vierge craintive et d'une ombre offensée,
Passe en gardant son voile et sans craindre les yeux!
Qui sait ce qu'un enfant peut entendre et peut dire
Dans tes soupirs divins, nés de l'air qu'il respire,
Tristes comme son cœur et doux comme sa voix?
On surprend un regard, une larme qui coule;
Le reste est un mystère ignoré de la foule,
Comme celui des flots, de la nuit et des bois!

- Nous étions seuls, pensifs; je regardais Lucie.
L'écho de sa romance en nous semblait frémir.
Elle appuya sur moi sa tête appesantie.
Sentais-tu dans ton cœur Desdemona gémir,
Pauvre enfant? Tu pleurais; sur ta bouche adorée
Tu laissas tristement mes lèvres se poser,
Et ce fut ta douleur qui reçut mon baiser.
Telle je t'embrassai, froide et décolorée,
Telle, deux mois après, tu fus mise au tombeau;
Telle, ô ma chaste fleur! tu t'es évanouie.
Ta mort fut un sourire aussi doux que ta vie,
Et tu fus rapportée à Dieu dans ton berceau.

Doux mystère du toit que l'innocence habite,
Chansons, rêves d'amour, rires, propos d'enfant,
Et toi, charme inconnu dont rien ne se défend,
Qui fit hésiter Faust au seuil de Marguerite,
Candeur des premiers jours, qu'êtes-vous devenus?

Paix profonde à ton âme, enfant! à ta mémoire!
Adieu! ta blanche main sur le clavier d'ivoire,
Durant les nuits d'été, ne voltigera plus...

Mes chers amis, quand je mourrai,
     Plantez un saule au cimetière.
     J'aime son feuillage éploré;
     La pâleur m'en est douce et chère,
     Et son ombre sera légère
     A la terre où je dormirai.

Lucie_65_

ESPACE

ESPACE

ESPACE

A Ninon

(Caroline Jaubert, 1835)

Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?
L’amour, vous le savez, cause une peine extrême ;
C’est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même ;
Peut-être cependant que vous m’en puniriez.

Si je vous le disais, que six mois de silence
Cachent de longs tourments et des vœux insensés :
Ninon, vous êtes fine, et votre insouciance
Se plaît, comme une fée, à deviner d’avance ;
Vous me répondriez peut-être : Je le sais.

Si je vous le disais, qu’une douce folie
A fait de moi votre ombre, et m’attache à vos pas :
Un petit air de doute et de mélancolie,
Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie ;
Peut-être diriez-vous que vous n’y croyez pas.

Si je vous le disais, que j’emporte dans l’âme
Jusques aux moindres mots de nos propos du soir :
Un regard offensé, vous le savez, madame,
Change deux yeux d’azur en deux éclairs de flamme ;
Vous me défendriez peut-être de vous voir.

Si je vous le disais, que chaque nuit je veille,
Que chaque jour je pleure et je prie à genoux ;
Ninon, quand vous riez, vous savez qu’une abeille
Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille ;
Si je vous le disais, peut-être en ririez-vous.

Mais vous ne saurez rien. — Je viens, sans rien en dire,
M’asseoir sous votre lampe et causer avec vous ;
Votre voix, je l’entends ; votre air, je le respire ;
Et vous pouvez douter, deviner et sourire,
Vos yeux ne verront pas de quoi m’être moins doux.

Je récolte en secret des fleurs mystérieuses :
Le soir, derrière vous, j’écoute au piano
Chanter sur le clavier vos mains harmonieuses,
Et, dans les tourbillons de nos valses joyeuses,
Je vous sens, dans mes bras, plier comme un roseau.

La nuit, quand de si loin le monde nous sépare,
Quand je rentre chez moi pour tirer mes verrous,
De mille souvenirs en jaloux je m’empare ;
Et là, seul devant Dieu, plein d’une joie avare,
J’ouvre, comme un trésor, mon cœur tout plein de vous.

J’aime, et je sais répondre avec indifférence ;
J’aime, et rien ne le dit ; j’aime, et seul je le sais ;
Et mon secret m’est cher, et chère ma souffrance ;
Et j’ai fait le serment d’aimer sans espérance,
Mais non pas sans bonheur ; — je vous vois, c’est assez.

Non, je n’étais pas né pour ce bonheur suprême,
De mourir dans vos bras et de vivre à vos pieds.
Tout me le prouve, hélas ! jusqu’à ma douleur même...
Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?

ESPACE

Ninon

ESPAC

ESPACE

A une Fleur
(A la comtesse de Fitz-James, 1838)

ESPACE

Que me veux-tu, chère fleurette,
Aimable et charmant souvenir ?
Demi-morte et demi-coquette,
Jusqu'à moi qui te fait venir ?

Sous ce cachet enveloppée,
Tu viens de faire un long chemin.
Qu'as-tu vu ? que t'a dit la main
Qui sur le buisson t'a coupée ?

N'es-tu qu'une herbe desséchée
Qui vient achever de mourir ?
Ou ton sein, prêt à refleurir,
Renferme-t-il une pensée ?

Ta fleur, hélas ! a la blancheur
De la désolante innocence ;
Mais de la craintive espérance
Ta feuille porte la couleur.

As-tu pour moi quelque message ?
Tu peux parler, je suis discret.
Ta verdure est-elle un secret ?
Ton parfum est-il un langage ?

S'il en est ainsi, parle bas,
Mystérieuse messagère ;
S'il n'en est rien, ne réponds pas ;
Dors sur mon coeur, fraîche et légère.

Je connais trop bien cette main,
Pleine de grâce et de caprice,
Qui d'un brin de fil souple et fin
A noué ton pâle calice.

Cette main-là, petite fleur,
Ni Phidias ni Praxitèle
N'en auraient pu trouver la soeur
Qu'en prenant Vénus pour modèle.

Elle est blanche, elle est douce et belle,
Franche, dit-on, et plus encor ;
A qui saurait s'emparer d'elle
Elle peut ouvrir un trésor.

Mais elle est sage, elle est sévère ;
Quelque mal pourrait m'arriver.
Fleurette, craignons sa colère.
Ne dis rien, laisse-moi rêver.

ESPACE

fleur

ESPACE

ESPACE

ESPACE

A Aimée D'Alton

(1838)

Déesse aux yeux d'azur, aux épaules d'albâtre,
Belle muse païenne au sourire adoré,
Viens, laisse-moi presser de ma lèvre idolâtre
Ton front qui resplendit sous un pampre doré.
Vois-tu ce vert sentier qui mène à la colline ?
Là, je t'embrasserai sous le clair firmament,
Et de la tiède nuit la lueur argentine
Sur tes contours divins flottera mollement.

Si la flèche envenimée
Ne peut sortir de mon flanc,
La main de ma bien-aimée
Peut en essuyer le sang.

Vous demandiez un impromptu.
Je l'ai tenté, mais n'y réussis guère.
Soyez sûre que pour vous complaire
Je l'aurais fait si j'avais pu.
A votre tour, essayez ma maîtresse,
Et faîtes-moi jusqu'au tombeau
d'une douce et vieille tendresse
Un impromptu toujours nouveau.

Ayant passé la nuit à rimailler,
Malade encore de la Métromanie,
Je voudrais bien, sur le cœur de ma mie,
Tranquille et sage aujourd'hui sommeiller.
Sage, ai-je dit ? est-ce une calomnie ?
Venez, ma belle, et je vous en défie ;
Entrez chez moi sans m'éveiller.

ESPACE

Aim_e_d_Alton

ESPACE

ESPACE

A Mademoiselle Rachel
(1840)

Si ta bouche ne doit rien dire
De ces vers désormais sans prix ;
Si je n'ai, pour être compris,
Ni tes larmes, ni ton sourire ;

ESPACE
Si dans ta voix, si dans tes traits,
Ne vit plus le feu qui m'anime ;
Si le noble coeur de Monime
Ne doit plus savoir mes secrets ;
ESPACE
Si ta triste lettre est signée ;
Si les gardiens d'un vieux tombeau
Laissent leur prêtresse indignée
Sortir, emportant son flambeau ;
ESPACE
Cette langue de ma pensée,
Que tu connais, que tu soutiens,
Ne sera plus jamais prononcée

Par d'autres accents que les tiens.
ESPACE
Périsse plutôt ma mémoire
Et mon beau rêve ambitieux !
Mon génie était dans ta gloire ;
Mon courage était dans tes yeux.
ESPACE
Rachel
ESPACE

ESPACE

Marie
(1842)

Ainsi, quand la fleur printanière
Dans les bois va s'épanouir,
Au premier souffle du zéphyr
Elle sourit avec mystère ;

Et sa tige fraîche et légère,
Sentant son calice s'ouvrir,
Jusque dans le sein de la terre
Frémit de joie et de désir.

Ainsi, quand ma douce Marie
Entr'ouvre sa lèvre chérie,
Et lève, en chantant, ses yeux bleus,

Dans l'harmonie et la lumière
Son âme semble tout entière
Monter en tremblant vers les cieux.

ESPACE

Marie

ESPACE

ESPACE

A Madame G.
(1842)

Dans dix ans d'ici seulement,
Vous serez un peu moins cruelle.
C'est long, à parler franchement.
L'amour viendra probablement
Donner à l'horloge un coup d'aile.

Votre beauté nous ensorcelle,
Prenez-y garde cependant :
On apprend plus d'une nouvelle
            En dix ans.

Quand ce temps viendra, d'un amant
Je serai le parfait modèle,
Trop bête pour être inconstant,
Et trop laid pour être infidèle.
Mais vous serez encor trop belle
             Dans dix ans.

ESPACE

Miss_Eveleen_Tennant

ESPACE

ESPACE

A Mademoiselle Melesville
(1843, fiancée au poète)

Bénis soient le moment, et l'heure, et la journée,
Et le temps et les lieux, et le mois de l'année,
Et la place chérie où, dans mon triste coeur,
Pénétra de ses yeux la charmante douceur !

ESPACE

Mlle_Melesville

ESPACE

ESPACE

Adieux à Suzon
(1844)

Adieu, Suzon, ma rose blonde,
Qui m'as aimé pendant huit jours ;
Les plus courts plaisirs de ce monde
Souvent font les meilleurs amours.
Sais-je, au moment où je te quitte,
Où m'entraîne mon astre errant ?
Je m'en vais pourtant, ma petite,
Bien loin, bien vite,
Toujours courant.

Je pars, et sur ma lèvre ardente
Brûle encor ton dernier baiser.
Entre mes bras, chère imprudente,
Ton beau front vient de reposer.
Sens-tu mon coeur, comme il palpite ?
Le tien, comme il battait gaiement !
Je m'en vais pourtant, ma petite,
Bien loin, bien vite,
Toujours t'aimant.

Paf ! c'est mon cheval qu'on apprête.
Enfant, que ne puis-je en chemin
Emporter ta mauvaise tête,
Qui m'a tout embaumé la main !
Tu souris, petite hypocrite,
Comme la nymphe, en t'enfuyant.
Je m'en vais pourtant, ma petite,
Bien loin, bien vite,
Tout en riant.

Que de tristesse, et que de charmes,
Tendre enfant, dans tes doux adieux !
Tout m'enivre, jusqu'à tes larmes,
Lorsque ton coeur est dans tes yeux.
A vivre ton regard m'invite ;
Il me consolerait mourant.
Je m'en vais pourtant, ma petite,
Bien loin, bien vite,
Tout en pleurant.

Que notre amour, si tu m'oublies,
Suzon, dure encore un moment ;
Comme un bouquet de fleurs pâlies,
Cache-le dans ton sein charmant !
Adieu ; le bonheur reste au gîte,
Le souvenir part avec moi :
Je l'emporterai, ma petite,
Bien loin, bien vite,
Toujours à toi.

ESPACE

suzon3

ESPACE

ESPACE

A Madame...
(1844)

Jeune ange aux doux regards, à la douce parole,
Un instant près de vous je suis venu m'asseoir,
Et, l'orage apaisé, comme l'oiseau s'envole,
Mon bonheur s'en alla, n'ayant duré qu'un soir

ESPACE

Et puis, qui voulez-vous après qui me console ?
L'éclair laisse, en fuyant, l'horizon triste et noir.
Ne jugez pas ma vie insouciante et folle ;
Car si j'étais joyeux, qui ne l'est à vous voir ?
ESPACE
Hélas ! Je n'oserais vous aimer, même en rêve !

C'est de si bas vers vous que mon regard se lève !
C'est de si haut sur moi que s'inclinent vos yeux !

ESPACE
Allez, soyez heureuse ; oubliez-moi bien vite,
Comme le chérubin oublia le lévite

Qui l'avait vu passer et traverser les cieux !
ESPACE

10

ESPACE

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