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Le Poète d'un Siècle, Alfred de Musset
Le Poète d'un Siècle, Alfred de Musset
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11 décembre 2006

Ses Amitiés

A mon ami Alfred Tattet  (Mai  1832)

§§§

Dans mes jours de malheur, Alfred, seul entre mille

Tu m'es resté fidèle où tant d'autres m'ont fui.

Le bonheur m'a prêté plus d'un lien fragile;

Mais c'est l'adversité qui m'a fait un ami.

C'est ainsi que les fleurs sur les coteaux fertiles

Étalent au soleil leur vulgaire trésor;

Mais c'est au sein des nuits, sous des rochers stériles,

Que fouille le mineur qui cherche un rayon d'or.

C'est ainsi que les mers calmes et sans orages

Peuvent d'un flot d'azur bercer le voyageur;

Mais c'est le vent du nord, c'est le vent des naufrages

Qui jette sur la rive une perle au pêcheur.

Maintenant Dieu me garde! Où vais-je? Eh! que m'importe?

Quels que soient mes destins, je dis comme Byron:

" L'Océan peut gronder, il faudra qu'il me porte. "

Si mon coursier s'abat, j'y mettrai l'éperon.

Mais du moins j'aurai pu, frère, quoi qu'il m'arrive,

De mon cachet de deuil sceller notre amitié,

Et, que demain je meure ou que demain 1e vive,

Pendant que mon cœur bat, t'en donner la moitié.

§§§

A Alfred Tattet  (Bury, le 10 août 1838)

Qu'il est doux d'être au monde, et quel bien que la vie!

Tu le disais ce soir par un beau jour d'été.

Tu le disais, ami, dans un site enchanté,

Sur le plus vert coteau de ta forêt chérie.

Nos chevaux, au soleil, foulaient l'herbe fleurie;

Et moi, silencieux, courant à ton côté,

Je laissais au hasard flotter ma rêverie;

Mais dans le fond du cœur je me suis répété:

-Oui, la vie est un bien, la joie est une ivresse;

Il est doux d'en user sans crainte et sans soucis;

Il est doux de fêter les dieux de la jeunesse,

De couronner de fleurs son verre et sa maîtresse,

D'avoir vécu trente ans comme Dieu l'a permis,

Et, si jeunes encor, d'être de vieux amis.

§§§

A M. A. T. (17 mai 1843)

§§§

Ainsi, mon cher ami, vous allez donc partir !

Adieu ; laissez les sots blâmer votre folie.

Quel que soit votre chemin, quel que soit l'avenir,

Le seul guide en ce monde est la main d'une amie.

Vous me laisserez pourtant bien seul, moi qui m'ennuie.

Mais qu'importe ? L'espoir de vous voir revenir

Me donnera, malgré les dégoûts de la vie,

Ce courage d'enfant qui consiste à vieillir.

Quelquefois seulement, près de votre maîtresse,

Souvenez-vous d'un coeur qui prouva sa noblesse

Mieux que l'épervier d'or dont mon casque est armé ;

Qui vous a tout de suite et librement aimé,

Dans la force et la fleur de la belle jeunesse,

Et qui dort maintenant à tout jamais fermé.

§§§

§§§

Tattet

Alfred Tattet

§§§

A Ulric Guttinguer (Juillet 1829)

§§§

Ulric, nul œil des mers n'a mesuré l'abîme,

Ni les hérons plongeurs, ni les vieux matelots.

Le soleil vient briser ses rayons sur leur cime,

Comme un soldat vaincu brise ses javelots.

Ainsi, nul œil, Ulric, n'a pénétré les ondes

De tes douleurs sans borne, ange du ciel tombé.

Tu portes dans ta tête et dans ton cœur deux mondes,

Quand le soir, près de moi, tu vas triste et courbé.

Mais laisse-moi du moins regarder dans ton âme,

Comme un enfant craintif se penche sur les eaux;

Toi si plein, front pâli sous des baisers de femme,

Moi si jeune, enviant ta blessure et tes maux.

§§§

À Madame N. Ménessier (novembre 1839)

(qui avait mit en musique les paroles de l’auteur)

Madame, il est heureux, celui dont la pensée

(Qu'elle fût de plaisir, de douleur ou d'amour)

A pu servir de sœur à la vôtre un seul jour.

Son âme dans votre âme un instant est passée;

Le rêve de son cœur un soir s'est arrêté,

Ainsi qu'un pèlerin, sur le seuil enchanté

Du merveilleux palais tout peuplé de féeries

Où dans leurs voiles blancs dorment vos rêveries.

Qu'importe que bientôt, pour un autre oublié,

De vos lèvres de pourpre il se soit envolé

Comme l'oiseau léger s'envole après l'orage?

Lorsqu'il a repassé le seuil mystérieux,

Vos lèvres l'ont doré, dans leur divin langage,

D'un sourire mélodieux.

§§§

Sonnet à Madame Ménessier (mai 1843)

§§§

"Je vous ai vue enfant, maintenant que j'y pense,

Fraîche comme une rose et le cœur dans les yeux.

_ Je vous ai vu bambin, boudeur et paresseux;

Tous aimiez lord Byron, les grands vers et la danse."

Ainsi nous revenaient les jours de notre enfance,

Et nous parlions déjà le langage des vieux;

Ce jeune souvenir riait entre nous deux,

Léger comme un écho, gai comme l'espérance.

Le lâche craint le temps parce qu'il fait mourir;

Il croit son mur gâté lorsqu'une fleur y pousse.

C'est ta main consolante, et si sage et si douce,

Qui consacre à jamais un pas fait sur la mousse,

Le hochet d'un enfant, un regard, un soupir.

§§§

A mon ami Edouard Bocher (1832)

Tu te frappais le front en lisant Lamartine,

Édouard, tu pâlissais comme un joueur maudit;

Le frisson te prenait, et la foudre divine,

Tombant dans ta poitrine,

T'épouvantait toi-même en traversant ta nuit.

Ah ! frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie.

C'est là qu'est la pitié, la souffrance et l'amour;

C'est là qu'est le rocher du désert de la vie,

D'où les flots d'harmonie,

Quand Moïse viendra, jailliront quelque jour.

Peut-être à ton insu déjà bouillonnent-elles,

Ces laves du volcan, dans les pleurs de tes yeux.

Tu partiras bientôt avec les hirondelles,

Toi qui te sens des ailes

Lorsque tu vois passer un oiseau dans les cieux.

Ah ! tu sauras alors ce que vaut la paresse;

Sur les rameaux voisins tu voudras revenir.

Édouard, Édouard, ton front est encor sans tristesses

Ton cœur plein de jeunesse...

Ah! ne les frappe pas, ils n'auraient qu'à s'ouvrir!

§§§

A M.Victor Hugo (26 avril 1843)

Il faut, dans ce bas monde, aimer beaucoup de choses,

Pour savoir, après tout, ce qu'on aime le mieux,

Les bonbons, l'Océan, le jeu, l'azur des cieux,

Les femmes, les chevaux, les lauriers et les roses,

Il faut fouler aux pieds des fleurs à peine écloses;

Il faut beaucoup pleurer dire beaucoup d'adieux.

Puis le cœur s'aperçoit qu'il est devenu vieux,

Et l'effet qui s'en va nous découvre les causes.

De ces biens passagers que l'on goûte à demi,

Le meilleur qui nous reste est un ancien ami.

On se brouille, on se fuit. - Qu'un hasard nous rassemble,

On s'approche, on sourit, la main touche la main,

Et nous nous souvenons que nous marchions ensemble,

Que l'âme est immortelle, et qu'hier c'est demain.

§§§

victor_h

§§§

A mon frère, revenant d'Italie (Mars 1844)

Ainsi, mon cher, tu t'en reviens

Dont pays dont je me souviens

Comme un rêve,

De ces beaux lieux où l'oranger

Naquit pour nous dédommager

Du péché d'Eve.

Tu l'as vu, ce ciel enchanté

Qui montre avec tant de clarté

Le grand mystère;

Si pur, qu'un soupir monte à Dieu

Plus librement qu'en aucun lieu

Qui soit sur terre.

Tu les as vus, les vieux manoirs

De cette ville aux palais noirs

Qui fut Florence,

Plus ennuyeuse que Milan

Où, du moins, quatre ou cinq fois l'an,

Cerrito danse .

Tu l'as vue, assise dans l'eau,

Portant gaiement son mezzaro,

La belle Gênes ,

Le visage peint,l'œil brillant,

Qui babille et joue en riant

Avec ses chaînes.

Tu l'as vu, cet antique port,

Où, dans son grand langage mort,

Le flot murmure,

Où Stendhal, cet esprit charmant,

Remplissait si dévotement

Sa sinécure.

Tu l'as vu, ce fantôme altier

Qui jadis eut le monde entier

Sous son empire,

César dans sa pourpre est tombé;

Dans un petit manteau d'abbé

Sa veuve expire.

Tu t'es bercé sur ce flot pur

Où Naple enchâsse dans l'azur

Sa mosaïque,

Oreiller des lazzaroni

Où sont nés le macaroni

Et la musique.

Qu'il soit rusé, simple ou moqueur,

N'est-ce pas qu'il nous laisse au cœur

Un charme étrange,

Ce peuple ami de la gaieté

Qui donnerait gloire et beauté

Pour une orange?

Catane et Palerme t'ont plu.

Je n'en dis rien; nous t'avons lu;

Mais on t'accuse

D'avoir parlé bien tendrement,

Moins en voyageur qu'en amant,

De Syracuse.

Ils sont beaux, quand il fait beau temps,

Ces yeux presque mahométans

De la Sicile;

Leur regard tranquille est ardent,

Et bien dire en y répondant

N'est pas facile.

Ils sont doux surtout quand, le soir,

Passe dans son domino noir

La toppatelle.

On peut l'aborder sans danger,

Et dire: " Je suis étranger,

Vous êtes belle. "

Ischia ! C'est là qu'on a des yeux,

C'est là qu'un corsage amoureux

Serre la hanche.

Sur un bas rouge bien tiré

Brille, sous le jupon doré, La mule blanche.

Pauvre Ischia ! bien des gens n'ont vu

Tes jeunes fines que pied nu

Dans la poussière

On les endimanche à prix d'or;

Mais ton pur soleil brille encor

Sur leur misère.

Quoi qu'il en soit, il est certain

Que l'on ne parle pas latin

Dans les Abruzzes,

Et que jamais un postillon

N'y sera l'enfant d'Apollon

Ni des neuf Muses.

Il est bizarre, assurément,

Que Minturnes soit justement

Prés de Capoue.

Là tombèrent deux demi-dieux,

Tout barbouillés, l'un de vin vieux,

L'autre de boue.

Les brigands t'ont-ils arrêté

Sur le chemin tant redouté

De Terracine?

Les as-tu vus dans les roseaux

Où le buffle aux larges naseaux

Dort et rumine?

Helas ! Hélas ! tu n'as rien vu.

Ô (comme on dit) temps dépourvu

De poésie !

Ces grands chemins, sûrs nuit et jour,

Sont ennuyeux comme un amour

Sans jalousie.

Si tu t'es un peu détourné,

Tu t'es à coup sûr promené

Près de Ravenne,

Dans ce triste et charmant séjour

Où Byron noya dans l'amour

Toute sa haine.

C'est un pauvre petit cocher

Qui m'a mené sans accrocher

Jusqu'à Ferrare.

Je désire qu'il t'ait conduit

Il n'eut pas peur, bien qu'il fit nuit;

Le cas est rare.

Padoue est un fort bel endroit,

Où de très grands docteurs en droit

Ont fait merveille;

Mais j'aime mieux la polenta

Qu'on mange aux bords de la Brenta

Sous une treille.

Sans doute tu l'as vue aussi,

Vivante encore, Dieu mercil

Malgré nos armes,

La pauvre vieille du Lido,

Nageant dans une goutte d'eau

Pleine de larmes.

Toits superbes ! froids monuments !

Linceul d'or sur des ossements!

Ci-git Venise.

Là mon pauvre cœur est resté.

S'il doit m'en être rapporté,

Dieu le conduise !

Mon pauvre cœur,l'as-tu trouvé

Sur le chemin, sous un pavé,

Au fond d'un verre ?

Ou dans ce grand palais Nani,

Dont tant de soleils ont jauni

La noble pierre ?

L'as-tu vu sur les fleurs des prés,

Ou sur les raisins empourprés

D'une tonnelle?

Ou dans quelque frêle bateau,

Glissant à l'ombre et fendant l'eau" A tire-d'aile ?

L'as-tu trouvé tout en lambeaux

Sur la rive où sont les tombeaux?

Il y doit étre.

Je ne sais qui l'y cherchera,

Mais je crois bien qu'on ne pourra

L'y reconnaître.

Il était gai, jeune et hardi;

Il se jetait en étourdi

A l'aventure.

Librement il respirait l'air,

Et parfois il se montrait fier

D'une blessure.

Il fut crédule, étant loyal,

Se défendant de croire au mal

Comme d'un crime.

Puis tout à coup il s'est fondu

Ainsi qu'un glaciers suspendu

Sur un abîme...

Mais de quoi vais-je ici parler?

Que ferais-je à me désoler,

Quand toi, cher frère,

Ces lieux où j'ai failli mourir,

Tu t'en viens de les parcourir

Pour te distraire ?

Tu rentres tranquille et content;

Tu tailles ta plume en chantant

Une romance.

Tu rapportes dans notre nid

Cet espoir qui toujours finit

Et recommence.

Le retour fait aimer l'adieu;

Nous nous asseyons près du feu,

Et tu nous contes

Tout ce que ton esprit a vu,

Plaisirs, dangers, et l'imprévu,

Et les mécomptes.

Et tout cela sans te fâcher,

Sans te plaindre, sans y toucher

Que pour en rire;

Tu sais rendre grâce au bonheur,

Et tu te railles du malheur

Sans en médire.

Ami, ne t'en va plus si loin.

D'un peu d'aide j'ai grand besoin,

Quoi qu'il m'advienne.

Je ne sais où va mon chemin,

Mais je marche mieux quand ma main

Serre la tienne.

§§§

Paul_de_Musset

Paul de Musset

§§§

§§§

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